Reliure traditionnelle
Devant moi attend une pile de livres fatigués. Un beau livre de collection, un livre de poche dont les feuilles se détachent toutes seules, un registre de mairie, un livre de famille, un album d’enfant manipulé par de petites mains peu précautionneuses, quelques livres de la bibliothèque voisine abîmés par de multiples usages, et un dictionnaire rafistolé à grands coups de Scotch tueur de papier (vraiment, les adhésifs, c’est l’enfer ! Leur colle acide détruit le papier, est très difficile à enlever et fait des dégâts irréparables !)
Les dégâts des adhésifs
J’ausculte un à un les ouvrages fatigués de ma pile. Je considère que tout livre mérite d’être soigné ou relié, quelles que soient sa valeur matérielle et son ancienneté. Alors, bien sûr, les soins ne seront pas les mêmes pour tous, on ne s’occupe pas d’un livre ancien de la même manière que d’un livre actuel. Mais je tiens à accorder la même attention à chacun : d’une part, il me semble que la potentielle valeur sentimentale d’un ouvrage prime sur sa valeur matérielle, et d’autre part, dans notre monde où les ressources et énergies nécessaires à la production des livres et à leur recyclage se font rares et posent des enjeux écologiques essentiels, peut-on vraiment continuer à jeter et racheter des livres, comme de simples objets de consommation, juste parce qu’ils sont abîmés, alors que l’on possède ce savoir séculaire, la reliure, qui permet de les réparer ?
Portée par cet élan, je me mets à l’ouvrage : il est temps de soigner et redonner de la vigueur à tous ces livres empilés devant moi, grâce aux principes et techniques de reliure traditionnelle courante (les réparations sont l’occasion d’offrir à l’ouvrage un nouvel habillage, plus solide, plus élégant. Et selon l’importance donnée à la recherche esthétique, cette reliure courante peut se transformer en reliure d’art) ou de restauration (la reliure en état de l’ouvrage se fait en conservant un maximum d’éléments d’origine, en respectant l’époque du livre et selon le principe essentiel de réversibilité : toute opération effectuée doit pouvoir être défaite sans rien endommager).
J’utilise d’ailleurs les mêmes techniques de reliure traditionnelle pour la reliure administrative (nouveaux registres à relier et anciens à restaurer), en respectant les réglementations en vigueur du décret 2010-783 du Code général des collectivités territoriales et de la circulaire IOCB1032174C.
Voilà maintenant mes livres tout ragaillardis ! Mais certains sont devenus muets. En regardant ceux qui ont bénéficié d’une nouvelle couvrure, on ne sait plus comment ils s’appellent ni qui les a écrits. Alors pour leur redonner la parole, je passe à la dorure : titrage (nom de l’auteur ou de l’autrice, titre, éventuels compléments), ornementation, effectués à l’or, au film doré ou couleur, ou au froid naturel (juste la marque du fer chaud, sans or ni couleur), directement sur le dos, les plats du livre (dorure directe) ou bien sur un morceau de cuir ensuite collé (dorure sur pièce de titre).
Devant moi désormais trône une pile de livres éclatants. Les voilà prêts à être lus et relus pendant encore longtemps.